118.
J'aurais l'air d'une grosse connasse élitiste si je disais : "vous ne comprenez pas." Je ne cherche pas à faire comprendre.
Ce qui a marqué ma mère quand elle est venue, c'était l'incroyable liberté des Russes. Sans travail, sans état qui aide, ils prennent tout simplement leur existence en main et décident de faire des choses, ils vont où ils veulent, travaillent quand ils veulent et s'ils le veulent peuvent être complètement en marge de tout.
A la campagne, certaines traditions conservées permettent de vivre au milieu de la nature. C'est fruste mais vivable.
Alors à soi s'offre tout... toute la forêt, les lacs... Pourvu qu'on sache les comprendre.
Et je crois que je suis restée là-dedans, que c'est pour ça qu'il n'y a pas de mots pour décrire le retour. On m'avait dit qu'il y aurait un choc, je ne pensais pas à cela. Ce matin, en sortant simplement en ville, hors de chez moi.
J'avais l'impression d'être libre. Je les voyais à la rentrée devant les lycées, aller au travail, je sais pas, être occuppés. Alors que je marchais simplement par envie, où je voulais. l'impression d'être échappée ailleurs...
C'était exactement comme si j'étais la louve dehors, et eux des huskys en cage.
Et il n'y a aucun mots qui peut traduire ce bizarre sentiment de décalage, de ne pas du tout évoluer dans la même sphère alors qu'on foule le même macadam. Comme les pistes d'animaux dans la forêt, la gent animale a ses propres sentiers, qui parfois croisent les routes humaines.
Et pourquoi ? Pourquoi y a-il une différence si minime mais perceptible, un fossé qui s'est élargi lorsque j'ai pris mes distances, autrement dit la fuite ?
Je suis éreintée et j'ai envie de me reposer, mais je ne peux pas, je ne peux pas.
Esgourde : Austere, To lay like old Ashes
Bouquine : Dumas, La Dame de Monsoreau
Image : Russia